Samedi 6 juin 2009 à 17:32

    J'ai revu un fantôme, hier soir, vieux de quatre ans. Il a surgi, simplement, dans la brume vaporeuse de la nuit noire, devant moi. J'avancais sans savoir, moi et ma vieille veste, mal rasé, la tête prise par tant de problèmes à régler, et elle est apparue devant moi, comme ça, avec sa simplicité désarmante et son charme discret, que j'avais oublié. 

    Il s'en est passé des choses en quatre ans. La dernière fois que je l'avais vu, je commençais la basse, je venais d'ouvrir ce blog, je n'avais jamais touché un seul agrès de jonglerie. J'étais toujours amoureux de fantômes, presque plus que maintenant, à vrai dire. Elle en a fait partie. Avec son sourire timide, et nos nuits blanches sur l'ordinateur, je suppose qu'elle en a fait partie. Comme elle. Comme elles. Comme toutes.

    C'est une période vraiment étrange, en ce moment. J'assiste à mes dernières heures de cours, je me lève pour la dernière fois de certaines salles de classes que j'ai fréquenté pendant trois ans. Je suis rempli d'une mélancolie que j'ai du mal à dissimuler. Jenn l'a remarqué, ce matin, elle était loin de se douter qu'elle est en partie cause de mon état. Beaucoup de choses que j'aurais du faire et que je ne ferais pas, que je laisse derrière moi, inachevées, poursuivre leurs routes, ou s'effacer dans le néant. 
   J'ai essayé de fixer certains détails dans ma mémoire, la cime des arbres que j'ai fixé pendant des heures, sa nuque, les messages qu'elle envoyait à d'autres personnes que moi, sous la table. Tout un rituel dont l'habitude m'avait fait perdre la saveur, que j'avais inscrit dans mon cerveau comme banal, et dont le spectacle ne me touchait plus. Aujourd'hui, alors que sonnait ma dernière heure dans cette salle de classe, j'ai pris conscience que je ne reverrai jamais, de ma vie, les instants auxquels j'ai eu accès pendant trois ans. J'ai compris que pour beaucoup, ils étaient rares, et beaux. J'ai maladroitement gribouillé "Ainsi meurt Mercutio", ma signature poétique, suivie d'une date, "2006-2009", sur la table. J'ai sûrement cru qu'il fallait que quelqu'un sache, que je ne pouvais pas juste disparaître, comme ça. J'avais vêcu ici, pendant trois ans, j'avais tremblé, je m'étais emmerdé, j'avais aimé. En l'écrivant, je ne pouvais m'empêcher de voir les dames de service, qui, dans quelques heures, l'effaceraient en plaisantant à autre chose, d'un coup de nettoyant, et n'y penseraient plus.

J'aurais encore tellement à écrire, bien sur, les après midi de musique, avec Zoreau, et Boris, ses mains sur le piano, j'entends encore nos discussions sur des morceaux, comme l'enregistrement d'une autre époque, déjà révolue, dont on écoute les voix sans pouvoir y mettre de visages. La jeunesse envolée de trois personnes qui avaient crues qu'elles pourraient devenir célèbres. Qui se souvient de leurs noms ?


Je m'effacerai, mes amis, je finirai par disparaître dans la brume meurtrière du temps, et malheureusement, j'ai bien peur de ne devenir le fantôme de personne.

Dimanche 3 mai 2009 à 16:41

    C'est comme quand on s'enfonce dans le sable. Figé dans un temps, pris dans une chute éternelle qui ne nous fera jamais rencontrer le sol.

Je tombe à l'infini.

L'idéal d'une vie enviée par beaucoup est entâché par la constante impression de mal-être, d'extrême solitude. On se perd dans les sourires et pendant ce temps là, tout le reste s'efface.

Je me suis appuyé un instant contre un mur, hier, comme j'ai si souvent l'habitude de le faire. J'ai replié une jambe sous moi, et je me suis détaché de tout, comme d'habitude. C'est comme si l'on pouvait appréhender la vie sous deux aspects différents, et qu'une fois passée la banalité de la surface, on pouvait voir la terrible réalité. Le sous-jacent qui noie de terreur tous ces adolescents, comme vous, comme moi. J'ai promené mon regard sur cette pièce, pour en revenir plus vide encore.

Qu'est ce qui me retient ? Tout s'échappe, comme du sable entre mes doigts, tombe, tombe, tombe dans l'infini des corps et des pensées, s'échappe et m'engourdit, et me laisse seul, finalement terriblement seul, la tête pleine d'angoisses et de non dits.

C'est comme quand on s'enfonce dans le sable. Et qu'on y meurt.

 

Dimanche 19 avril 2009 à 15:25

   

    La lumière des stores filtrait, lame par lame, sur le bureau presque vide. Une tasse de café qu'il n'avait pas touché, un ordinateur portable, et puis ce jeune homme, qui avait vu l'enfer, assis dans la petite chaise en simili cuir, en face de lui. La pièce était plongée dans une pénombre claire d'hôpital, éclairée par le couloir et la blancheur des murs. Juste lui, et l'adolescent, éclairé par intermittence. Il fut le premier à craquer.

 -BON SANG !

L'autre ne bougea pas.

Il frappa des deux poings sur la table. 

-Tu ne te rends même pas compte, c'est ça ?

 -Bien sur que je me rends compte.

La voix était calme, sans animosité, presque sans ton. Il reprit.

 -C'est bien ça le problème. Je me rends compte. Je me rends compte de tout. Tout ce que tu effleures parfois, tout ce à quoi tu penses une fois sur dix. Tout ce qui ne te touches même pas.

L'homme se passa la main sur le visage.

 -Tu crois peut-être que tu es le seul à avoir des problèmes ?

 -Bien sur que non. C'est bien pour ça que je me demande pourquoi tout le monde ne fait pas comme moi.

 -Parce qu'il y a d'autres solutions ! On peut parler, réfléchir.

 -Tout ça, c'est refuser d'affronter la réalité. Parler, pour penser à autre chose, chercher des alternatives là où il n'y en a aucune. Tu vas mourir. C'est ça que tu ne conçois pas. Moi je ne le supporte pas, tout ça, toute cette attente. Je craque. Parler... Tout ce que tu pourras dire ou faire n'éloignera jamais le fait qu'à la fin, tu meurs, toi, moi, tout le monde, et tous les Léonard de Vinci, Hemingway et Mozart y sont passés, et ce qu'ils ont laissés ne sert à rien, parce qu'ils sont MORTS ! Et quoi que tu fasses, tu mourras aussi, et ce sera la fin de tout.

Il s'arrêta un instant, se recala dans son fauteuil, massant son bandage à la tête, puis repris, calmement.

 -Et ça, je ne le supporte pas. Cette vie, chaque instant passé à ne penser qu'à ça. A ma mort. Je hais tout ce qui nous en détourne, et je hais tout ce qui m'y ramène. Je hais la vie, et toutes les conneries qui vont avec, l'art, les amis, les bons moments, et l'amour, ce putain d'amour, surtout. Tout ça disparaitra. Les photos des bons moments qu'on aura tous passés ensemble ne seront plus comprises par personnes. Ces trois jeunes personnes qui font les cons sur le sable, qui posent, qui rient: tous les trois, morts. Et avec eux leur humour, leur vie, leurs souvenirs, leurs pensées, leurs délires, leur manière de voir le monde. Je hais la vie.

L'homme en face de lui fit semblant de boire une gorgée de café, pour se donner contenance. Il tenta faiblement.

 -Et tu ne veux pas en profiter, de ce répit ?

 -Quelle importance, si c'est pour mourir. Quoi que tu puisses me dire, je n'y répondrai qu'une seule chose. Je mourrai. Quoi qu'il arrive, quelles que soient mes actions, que je sois bienfaiteur humanitaire ou violeur d'enfants, je mourrai. Et après ça plus rien, ce sera fini même la mort s'arrêtera... 
Je hais la vie. Plus que tout. Je la hais de nous laisser croire en un possible bonheur et de tout nous enlever.

 L'autre se passa une main sur le visage. Il n'y avait plus grand chose à dire.

-Il y a quelque chose que tu hais plus que la vie, au final ?

L'adolescent eut un sourire.

 -Oui bien sur... Moi.

Il se leva et sortit de la pièce. L'homme resta un instant seul dans sa chaise. Il se revoyait encore détourner l'arme de la tête de son petit frère, presque trop tard, juste assez pour que la balle ne fasse qu'effleurer le crâne. Ce soir, dans le bureau blanc de cet hôpital glauque, il se demandait qui était le plus détruit des deux.

http://distantwaves.cowblog.fr/images/uncontedenoel2g1.jpg

Samedi 4 avril 2009 à 0:00

   Parfois, je me sens seul, et sans personne. Quand tout le monde se fait des fausses idées sur moi, que les autres sont superficielles, que beaucoup sont inutiles. Qu'est ce qu'il me reste ? Archive, mon sennheiser, et la fuite. Ca me presse un peu le coeur quand je me vois si pitoyable, à me dépêcher de finir ce que je dois faire pour m'enfuir, une fois de plus, comme un voleur, et continuer seul, seul dans ma tête, seul dans une rue vide, seul avec tout le monde autour de moi. Il vaut mieux que je m'efface, de toute façon. Je déçois bien souvent. 

Alors je mets mon casque, et je disparais, jusqu'à devenir ce passant si étrange qui fuit vos regards et que vous ne pouvez vous empêcher de regarder, parce que la pitié, ça attire l'oeil.

Jeudi 22 janvier 2009 à 21:13

    Le garçon passe et repasse dans les rues et les allées, les même questions en tête.

Les seules choses qui en sortent sont des mauvaises pensées.


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