-Tu connais ma règle, avait-il dit au milieu de l'appartement d'où ils avaient tous peur. Les trois fondamentales : Une batte de base-ball, un long couteau cranté, et une arme. Tu ne sors le couteau qu'au dernier moment, et tu tranches.
Personne n'y avait cru vraiment, au début, mais maintenant que l'annonce avait été reprise par les médias, on débattait à la radio, et chez-eux, les gens s'armaient. Il avait dit au revoir à ses parents avec un goût amer dans la bouche. Son père avait décroché le grand fusil de chasse du dessus de ce tableau Gallois qu'il aimait tant. Il avait l'habitude d'y voir un éléphant, petit, lorsqu'il ne s'agissait que d'une route, d'un village, peut-être. Ils n'étaient pas fait pour un monde sans poésie et sans jazz, et mouraient sans doute très vite.
Dans l'appartement, avec un ami, et une femme qui avait un enfant, ils étaient passé à deux doigts de l'accrochage. On avait voulu forcer sa porte pour y trouver des armes. C'était monnaie courante, désormais. Il avait plaqué le couteau sous la gorge d'un type qui était parti très vite. L'enfant avait trouvé ça presque normal.
Le problème était simple, mais moral. Il voulait protéger les enfants sur lesquels il avait toujours veillé, dans l'établissement où il travaillait encore. Dans le métro, tout le monde se fixait, lourdement. Des armes dépassaient des jeans, des vestes, il faisait froid. Surtout pas de gestes brusques. Au terminus, il était parti vers l'école. Les plus riches étaient déjà partis où s'étaient retranchés derrière une armée personnelle et des majordomes qui finiraient, contaminés, par se retourner contre eux. Le fait que la solitude la plus stricte restait le meilleur moyen de survivre était difficile à ingérer. Il se souvenait de sourires, de son sourire, et de lorsqu'il l'avait embrassée en pensant que le soir-même, ou le lendemain, elle aurait sûrement disparue. Le plan était simple. Aller au travail, protéger les enfants et s'assurer qu'il n'y ait pas de problèmes. Rentrer chez soi, le soir, se barricader. Où rester dans l'école, et protéger les enfants, même si c'était une notion qui s'avérait sans espoir. Les enfants avaient choisis pour lui. Lorsqu'il était arrivé, ils avaient déjà perdu leur calme. Très vite, ils étaient tous parti, dans les rues, poussés par la rage et la peur. Certains étaient rentrés chez eux, d'autres ne reviendraient pas. Dans la salle de musique, il était resté cette enfant russe qu'il aimait beaucoup. Elle l'avait regardé et il l'avait serré dans ses bras, longtemps sans trop rien dire. Il avait voulu lui dire de venir avec elle, pour s'assurer qu'elle survive, mais il n'y pouvait rien, et se mettait en danger. Cela faisait effroyablement mal au coeur. Alors il avait dit au revoir à ses collègues, à celui qui allait s'enfermer dans son théâtre et attendre que les choses arrivent, à celui qui fuyait pour les montagnes, où paraissait-il la contamination n'aurait aucun effet. Il doutait qu'il puisse seulement monter dans un train au départ de Paris, mais lui avais serré la main en faisant semblant, comme lui, de le croire sauvé.
Lorsqu'il n'y avait plus eu aucun enfant dans le grand collège vide, j'étais rentré à l'appartement. La nuit tombait et les gens encore sains d'esprits avaient commencés à se battre, dans la rue, pour un Sig Sauer, ou une simple hache. Chez moi, j'avais mis mon pantalon le plus souple, rempli un sac à dos serré contre mon dos, où j'avais rangé deux beretta, quelques vivres et une trousse de secours. J'avais rangé le couteau cranté dans son harnais contre ma cuisse, et placé un plus petit, fixé à mon mollet. La batte de base-ball était une arme de dissuasion pour ceux qui, encore vivants, étaient déjà devenus fous. Assis sur mon lit, j'avais eu un instant la pensée absurde du devenir de mon écriture, dans un monde déchiré par une invasion de morts. Où trouverai-je la beauté et la poésie dans le torrent de sang qui allait bientôt se déverser sur nous tous ? Il n'y avait pas la place pour un carnet dans mon sac. Il fallait savoir être efficace. Dehors, on se battait dans la nuit, mais je ne savais pas si le gêne s'était activé comme on l'avait dit, ou si les habitants, rendus fous par la peur, n'avaient pas commencés à se tuer entre eux. J'ai regardé par la fenêtre, et puis j'ai resserré mon sac le plus possible contre mon dos. Émeutes dans la nuit, cris de terreur, bruits d'armes, peur, peur, la peur qui transpirait par tous les pores de leur peau. Peut-être était-cela le seul gêne qui les tueraient tous. Une porte qui s'enfonce, plus de cris, des bruits dans l'escalier de service. Et moi, tranquillement, qui me préparait au pire.
;)