Je ne vous dis rien parce que je m'y sens tellement chez moi, qu'on nous a offert deux tournées d'alcool, que j'ai l'impression d'être à la maison, en famille, et que je ne veux surtout pas voir débarquer une horde de touristes dans ce palais des palais. Assurément reservé aux Very Important Jack. Je veux pouvoir y entrer un jour et dire "Tony, comme d'habitude."
      Je m'écoute la BO de Big Fish, ce film si paisiblement sublime de Tim Burton, et je me prends à rêver de déclarations au milieu de milliers de jonquilles. Je deviens romantique, bon sang, où est passé le cynisme qui me caractérise tant ? Je suis cynique, dans la vie réelle, mais je garde mes rêves de gamins pour mon endroit secret, et mon endroit secret, c'est ici. Peu de personnes qui me côtoient sauf très intimement savent que cet endroit existe. Pour eux, je ne suis que le jongleur sympa, ce mec qui a de l'humour. Mon âme de gamin s'est caché derrière ce type, comme un enfant recroquevillé derrière un meuble parce que le monde est trop moche, et qu'il ne veut plus jouer. Finalement, derrière ces tonnes d'apparences, d'assurance, de confiance en soi, d'humour, il y a un enfant les yeux grands ouverts dont le coeur se brise en deux à chaque fois qu'il voit un SDF, à chaque fois qu'il assiste à une injustice. Derrière tout ça, il y a un gamin qui voudrait qu'on le rassure, que le monde aille bien, qu'on l'aime, qu'on le serre contre son coeur.
Je voudrais vraiment pouvoir me laisser aller, et que le petit enfant revienne. Il surgit, parfois, certains l'ont vus; écarquille ses grands yeux devant un spectacle si beau, sourit, cabotine, à huit ans à nouveau. Si vous voyez ces yeux qui voudraient manger le monde, c'est que je suis revenu, pour un instant, du jardin des enfants perdus.
Je veux t'attendre les mains dans les poches.
(Un article touchant.)