Mélancolie latente. La neige, que tout le monde attendait, qui est tombée, inutile, devant mes yeux. Je me suis fait la réflexion légère, comme chaque année, que c'était un vrai symbole de l'enfance, cette neige, et que notre impatience de bambin était déconnectée par les vrais problèmes de la vie, ceux qui tordent le ventre, comme une fiche qu'on désactive, à l'âge adulte. Mon ordinateur ne démarre plus. Impossible d'écrire, vraiment, pendant longtemps, comme je le faisais si bien ces derniers temps. Toute cette neige de merde, et moi, tout seul, dans le train. Mon bouquin dans la poche, c'est souvent Jim Harrison, ça a été Roth, c'était pas si bien, Paul Auster, Modiano c'est Breat Easton Ellis, en ce moment, je ne sais pas encore si c'est bien. J'ai relu Patrick Cauvin, qui est un vrai écrivain, un vrai de vrai, même quand il écrit à la place d'enfants, il sait, il a "ce truc". Didier Van Cauwelaert, bientôt, un très beau livre que j'avais commencé sans jamais le finir. Toujours Jim, toujours les couloirs de cette faculté où je n'ai pas ma place. Une connaissance m'a donné une nouvelle qu'il a écrit, enfin quelques pages, et c'est sans talent, du début à la fin, il y a quelques étincelles, mais c'est totalement stéréotypé, et c'est dommage. Je ne lui dirai pas, je ne lui dirai rien. Ça fait trois semaines. Ça fait cinq mois que je n'ai rien dit à personne je crois. Maxence, un peu tout le temps, se traîne avec moi, il est au courant de tout, c'est un peu le dernier qui est là tout le temps. Mon meilleur ami est parti pour son travail, il a ses problèmes, ses horaires, on se voit moins, toujours avec le même plaisir, mais ce n'est pas pareil que les soirées où on se défonçait en écoutant des disques, la seule personne avec qui je faisais ça. Et puis le train, et la neige. Mes écouteurs dans le métro, le bouquin dans la poche, toujours un peu pareil. Je ne fais rien d'autre qu'écrire, et quand je n'écris plus, c'est reparti pour un tour, tout me hérisse, je ne peux plus approcher de rien, sans être assailli par les angoisses, et puis Maxence est là, alors on se voit. Ma mère s'est brisée la cheville, elle est immobilisée, là, chez-elle, et c'est sûrement moi qui ai peur, mais j'y vois comme une préfiguration de sa vieillesse, et de sa mort. Toujours les mêmes angoisses. Mon père le sent, il est à côté d'elle, il l'aide pour tout, mais je sens qu'au fond de lui, il est terrifié, de la même peur que moi, je le vois dans ses yeux, dans le ton de sa voix, dans son agressivité de grand animal blessé. Il n'a rien résolu. Je reste longtemps devant la cheminée, et une part de moi, la plus horrible veut fuir et foutre le camp, parce que je ne m'y résous pas, je suis terriblement humain sur ce cas de figure.
Devant la cheminée, je me suis aussi dit qu'on était rien de plus qu'une famille ordinaire, qui se meurt à petit feu, les uns après les autres. La vie m'a révolté, comme souvent. J'ai pensé que la solitude avait cela de fantastique qu'on n'avait pas à voir souffrir ceux qu'on aime. Je me suis dit qu'à la seconde où j'arrêtais d'écrire, je n'étais plus rien. Allongé sur mon lit, tout à l'heure, sur le matelas de Maxence, avec Chloé, et Alban, hier soir, j'ai fait défiler ses photos sur mon téléphone portable. Elle a l'air belle et épanouie, elle n'a pas changé. On a plaisanté, il y a quelques jours, par sms, et moi je riais jaune, et je me perdais dans ses photos. J'ai regretté de ne pas en avoir pris plus. J'ai regretté tout le reste.
La neige, toujours, partout, dégueulasse. Mes colères, pour rien. L'âge adulte.