Il est resté là un bon moment, sans rien dire, les yeux perdus sur la ligne d'horizon, cherchant les bateaux qui passent au loin, voguent vers la Corse, et tremblent sous le soleil, comme des équilibristes tanguant sur leur corde. Derrière lui, la presqu'île et ses arbres familiers, ces pins où il a joué des années durant, gamin, perché sur les branches, et puis la plage, le sable un peu partout, les galets, le vent et l'odeur du sel. Il se revoit encore courir derrière les crabes, passer des heures dans la mer, capturer les oursins et l'oncle qui les servait sur des tartines, caché derrière un rocher, comme un suprême secret qu'il ne fallait dire à personne. Nina adorait ça, elle en aurait bouffées des centaines. Avec ses trois ans de plus, elle attirait déjà le regard des grands types des rochers, qui étaient venus la voir plus d'une fois. Il ne les avaient jamais aimés, de chercher sa grande soeur, comme ça. Et puis Nina... comment être adulte quand on a un nom de gamine ? C'était sa sauvegarde, et il s'y cramponnait comme à une bouée de sauvetage.
Ce jour là, en sautant de la petite falaise jusque dans l'eau salée, Nina avait gardé son enfance pour toujours.
Son père devait être en train d'arriver en ville, maintenant, il avait eu son message, le simple "Je vais la chercher", griffonné à la hâte sur le dos d'un ticket bancaire. Il valait mieux qu'il se dépêche, il valait mieux que personne ne voit ça. Nina l'attendait surement, cachée derrière une algue dans ce royaume marin, prêt à déguster les oursins, à chasser les crabes, à jamais. Il prit une grande inspiration, ouvrit les yeux, grand, très grand pour bouffer le ciel une dernière fois. Il pouvait presque sentir les cheveux blonds de sa soeur sur sa peau. Il sauta.
Tombe,
tombe,
tombe,
Longtemps, le vent lui a griffé le visage. Et puis ça a été les rochers.