Alors que je marchais sur un trottoir de Pigalle, en direction du magasin de musique où je comptais dépenser tout mon argent, je passais devant un de ces théâtres pornographiques aux lourdes tentures bleues. Une femme en est sorti, la trentaine jeune, étrangère, orientale, peut-être, née en France. L'air gouailleur, coquin, peut être, mais sans trop forcer. Elle m'a sourie, hésitante, invitante, à moitié.
"Bonjour Monsieur..."
Etrangement j'ai cru qu'elle allait me demander un renseignement du style "quelle heure est il ?", ou "La place de l'Etoile, s'il vous plaît ?"
 "Vous ne voulez pas monter un instant, regarder nos programmes ?"
Incrédule, j'ai mis une seconde à comprendre ce dont elle voulait parler. Derrière les lourdes tentures bleues, en haut du grand escalier sombre, il y avait tout ce que je voulais, à libre portée, comme je le voulais. C'était son métier. Donner envie. Je n'ai pu que répondre en souriant.
"Désolé, je suis mineur, mademoiselle."
Elle a eu un instant d'hésitation, et m'a regardée avec plus d'insistance, moi, ma veste en cuir, mon bouc mal fourni, et mon sourire d'excuse.
"Mineur..."
"Et oui... Au revoir..."
J'ai fait quelques pas sans qu'elle ne me lâche des yeux, et alors que j'allais reprendre ma route, elle s'est exclamée une nouvelle fois:
"Mineur ! ..." Suivi d'un silence, comme si elle s'amusait elle même de son erreur.
J'ai ri, sincèrement, et d'un sourire, j'ai repris ma route. Elle se trompait de peu, bien sur, mais c'était un bel instant.
Quand je suis repassé, trente minutes plus tard, ma guitare fraîchement achetée à la main, elle m'a fait un clin d'oeil. Peut être ne me croyait-elle pas.Â
C'aurait été un beau mensonge.